mercredi 8 février 2017

Anima de Wadji Mouawad

Date de parution : 2012 chez Actes Sud
Nombre de pages : 400

Le regard animal sur la monstruosité humaine

J'ai ce livre du dramaturge Wajdi Mouawad dans ma Pal depuis deux ans, une proposition de lecture commune avec Marie-Anne du blog Sur la route de Jostein m'a enfin permis de l'en sortir et je peux dire que je ne le regrette vraiment pas !

Le récit commence par une scène d'une rare violence lorsqu'à Montréal, Wahhch Debch retrouve sa femme Léonie enceinte assassinée, éventrée et violée dans des conditions particulièrement effroyables.

La surprise arrive rapidement quand on comprend au bout de quelques pages que ce sont les différents animaux de l'entourage de Wahhch qui racontent son histoire. La découverte du corps est raconté par le chat, l'enterrement de Léonie est raconté par les corbeaux... Chat, oiseau, poisson, fourmi,  araignée, boa... prennent la parole tour à tour sans jamais que l'unité du roman en pâtisse.


Assez vite, la police apprend à Wahhch que l'assassin de sa femme est un Indien et qu'il a trouvé refuge dans une réserve amérindienne à la frontière du Canada et des États-Unis. Mais Wahhch comprend que ni la police ni la communauté indienne de la réserve n'arrêteront le coupable. Il lui faudra se débrouiller seul...

Commence alors un long périple où Wahhch va chercher à retrouver le meurtrier, juste pour voir son visage, affirme-t-il, et non pas pour se venger. Les animaux rencontrés en chemin continuent de raconter son histoire, de chapitre en chapitre ils alternent leur voix, observent et rapportent ce qu'ils voient et entendent, témoins de l'agitation et de la folie des hommes. Wahhch entretient une relation particulière avec certains animaux qui croisent sa route, son destin semble lié à celui des bêtes...

" Les humains sont plus bêtes que les bêtes, 
et les bêtes plus humaines que les humains."

On comprend peu à peu que Wahhch a vécu quelque chose de tragique dans son enfance et que voir sa femme étendue dans son sang lui a renvoyé un sentiment de déjà vu. Cette image d'une scène vécue et refoulée va l'obséder et il va tenter de comprendre.

" La mort de Léonie, dans sa monstruosité, a ouvert une brèche d'où ont surgi des visages 
et je ne parviens pas à savoir si ces visages relèvent du souvenir ou du délire. "

L'histoire n'est donc pas seulement celle d'un homme qui part à la poursuite du meurtrier de sa femme, c’est aussi l'histoire d'un homme à la recherche de ses origines. Des origines qui remontent aux massacres de Sabra et Chatila au Liban en septembre 1982, Wahhch va finir par comprendre ce qui lui est arrivé ainsi qu'à sa famille, c'est l'occasion pour Wadji Mouawad de relater des scènes effroyables.

C'est un livre difficile, exigeant qui interroge sur la frontière entre l'humanité et la bestialité. J'ai retrouvé dans ce roman des thèmes que l'auteur développait déjà dans "Incendies": l'identité, la mémoire, la responsabilité, la quête des origines, la généalogie de la violence et plus largement l'humanité.

Wadji Mouawad a eu l'idée de génie d'inverser la perspective en faisant parler les animaux pour  évoquer la part monstrueuse des hommes. L'animal, spectateur de la vie humaine, spectateur d'une vie plus bestiale que celle des animaux.
J'ai trouvé ce roman polyphonique magistral, d'une violence parfois insoutenable avec une montée en puissance digne d'une tragédie grecque. Construit comme un polar, c'est un vrai roman noir haletant de suspense.
Ce n'est pas une lecture de tout repos, loin de là... Mais l'écriture puissante, fluide mais également délicieusement poétique de Wadji Mouawad a un effet hypnotique.
Lu il y a une dizaine d'années, je me souviens d'"Incendies" comme si je l'avais refermé hier, nul doute qu'il en sera de même avec "Anima" que j'ai refermé le souffle coupé.

La chronique de Sur la route de Jostein est ici et celle d'Eimelle


Citations

" L'humain est un corridor et tout humain pleure son ciel disparu. Un chien sait cela et c'est pour cela que son affection pour l'humain est infinie."

" Il m'a parlé du malheur qui fond parfois sur les humains et de la douleur engendrée par la permanence de la mémoire que rien n'efface, sauf la mort. "

" Depuis que le monde est monde, le ciel n'a rien vu de plus bestial que l'homme."

" Insecte, oiseau, chien et humain ont par moments plus à voir l'un avec l'autre que chacun avec ses propres semblables."

" Nous sommes tous des meurtriers, mais certains choisissent de l'être."


L'auteur
Wajdi Mouawad est un auteur, metteur en scène et comédien canadien. Bien qu'il ait vécu au Liban et en France, il est établi au Canada depuis 1983.
En septembre 2010, "Incendies", une adaptation cinématographique de la pièce éponyme, réalisée par Denis Villeneuve, sort en salle au Québec après avoir été présentée dans plusieurs festivals et avoir remporté de prestigieuses récompenses au cours des mois précédents.
En 2002 il est fait Chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres, décerné par la France pour l'ensemble de son œuvre.



Lu du même auteur












Catégorie ANIMAL





6 commentaires:

  1. que livre! Je suis heureuse de l'avoir enfin lu!

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    1. Et moi donc!
      Tu te rends compte que çà faisait 2 ans que je n'arrivais pas à l'ouvrir...
      Vive les lectures communes!

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  2. C'est étonnant ce mouvement actuel qui consiste à faire raconter les événements par des animaux ou même des objets...
    J'ai déjà lu d'excellents commentaires sur ce livre, mais j'avoue être très réfractaire à cette violence étalée sous nos yeux, de manière assez réaliste et détaillée, crois-je savoir. Même si je comprends qu'elle n'est en rien gratuite et renvoie hélas aux exactions dont l'homme est capable.

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    1. Tu sais Delphine c'est marrant mais j'avais exactement les mêmes réticences que toi par rapport aux animaux et à la violence. C'est pour ça que je l'avais dans ma pal depuis 2 ans sans avoir vraiment envie de l'ouvrir.
      Et en définitive la parole donnée aux animaux est très bien passée pour moi et ajoute une super dimension au propos. Quant à la violence elle est certes réaliste mais jamais gratuite.
      C'est vrai que les avis sont globalement positifs alors peut-être un jour....

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  3. On me l'a conseillé et puis je l'ai cherché en librairie, en vain. Ton billet me rappelle que je dois y retourner pour cette fois le trouver je l'espère.

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    1. Oh oui, n'oublie pas ce livre (et "Incendies" du même auteur)!
      Il existe en poche, tu devrais le trouver sans problème.

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